La MTE au cours de l'histoire

 

 

1. La Médecine analogique de l'Antiquité

 

L'époque Grecque.

 
Hippocrate était un médecin itinérant, issu d’une famille de médecins, et formé dans la colonie grecque d’Asie Mineure (Turquie actuelle). Mis à part les écrits attribués à lui ou à son école on sait finalement assez peu de choses de la Médecine Traditionnelle Grecque, et encore moins de l'ancienne Médecine Européenne en général.

 La médecine étant à cette époque-là une science initiatique transmise oralement à des élèves choisis, il est probable qu'Hippocrate n'ait en fait écrit qu'une partie des connaissances de son temps, et pas forcément les plus fondamentales. Celles-ci étaient probablement supposées connues de tous les élèves, et les écrits en étaient alors surtout des illustrations.

 

On ne sait pas grand-chose non plus sur ce qui existait en médecine avant Hippocrate, qui fut le premier à la mettre par écrit. Ceci ne veut donc pas dire qu'il n'y ait rien eu de sérieux avant lui : bien au contraire, toute la médecine qu'il décrit n'aurait pas pu être découverte en une fois, ex nihilo, au même moment, par une seule ou même quelques personnes.

 

De plus Hippocrate et ses successeurs semblent, comme nous le verrons, n’avoir pas toujours parfaitement compris la médecine qu'ils exerçaient et enseignaient : autour de quelques notions fondamentales pertinentes de médecine analogique (4 Humeurs, éléments, l’importance de la ‘coction’, etc…) leurs écrits sont souvent franchement fantaisistes… Tout se passe comme s'ils avaient parfois simplement entendu parler de notions médicales fondamentales, mais ne les avaient pas vraiment assimilées. Ou encore comme si de simples échos leur étaient parvenus de notions médicales beaucoup plus développées dans d'autres pays (comme l’Inde).

 

Bien peu de progrès fondamentaux ont en effet été faits après Hippocrate, au point que l'on peut se demander si celui-ci, plutôt que d'être le fondateur de la médecine grecque et le précurseur de la médecine moderne, comme on se plaît à le dire, ne serait pas plutôt un des derniers représentants de connaissance plus anciennes, d’une Tradition en train de se perdre, plus très bien comprise, celui qui aurait compilé ce que l’on savait encore à son époque et en aurait mis certaines notions par écrit, à un moment où la Tradition orale commençait à se perdre.

 

 On rechercherait d'ailleurs en vain les rapports entre la médecine d'Hippocrate et la médecine contemporaine: elles n'ont rien en commun.

Il y a par contre beaucoup en commun avec la médecine traditionnelle Ayurvédique Indienne.

 

Dès le 5e siècle avant J-C de grandes écoles médicales fonctionnaient dans les colonies grecques de Crotone en Italie du sud et de Cyrène en Afrique du Nord. Les écrits Hippocratiques du 4e siècle reflètent surtout les pensées des écoles du 5e siècle de l'île de Kos et de la presqu'île de Knidos, situées près de Milet en Asie Mineure.

 

La pensée médicale était basée sur la notion des 4 Eléments (Terre, Eau, Air et Feu) qui selon Thalès, qui vécut à Milet au 7e siècle avant J-C, composent tout ce qui existe de par le monde ; sur les deux paires d'énergies complémentaires (chaud/froid, sec/humide) définies par Empédocle au 5e siècle; et sur les 4 Humeurs qui leur correspondent. L'équilibre dans des proportions correctes de ces dernières, l’homéostasie, conditionne la santé selon Alcméon de Crotone. (Rappelons qu'il s'agit toujours là d'analogies, très pratiques, mais à ne pas prendre à la lettre.)    

        

La thérapeutique se faisait essentiellement par les plantes et la diététique.

Cependant après Hippocrate la médecine grecque tomba pour longtemps dans les querelles d’école. Il n'y eut pas grand'chose de nouveau pendant 5 siècles...

   

L'époque Romaine.

 

Beaucoup plus tard la civilisation Romaine prend le relais de la civilisation Grecque en incorporant en grande partie la culture de celle-ci, et les médecins continuent à être surtout des Grecs, car Rome n'a pas vraiment de tradition médicale. Alexandrie (ville de culture grecque plus qu'égyptienne) prend le relais des anciennes colonies grecques comme centre de recherche médicale.

 

Dioscoride écrit au début de l'ère chrétienne son 'De Materia Medica', première Matière Médicale, où il répertorie cinq cents médicaments d'origine végétale, minérale ou animale.

 

 Galien, de culture grecque également, né à Pergame en Asie Mineure, a surtout exercé à Rome, à la fin du 2e siècle, après s'être formé entre autres plusieurs années à Alexandrie. Son influence sera énorme, inégalée en durée à travers l'Histoire, et elle dominera totalement la pensée médicale occidentale et arabe jusqu'après la Renaissance. Au point d'exercer un quasi-monopole pendant près de 15 siècles !

 

On se souvient surtout de nos jours qu'il distingua les différentes formes possibles d'utilisation des plantes : en poudre ou dans des solvants comme l'eau, le vin ou le vinaigre, d'où le nom de Galénique qui est resté pour cette classification.

 

Disciple d'Hippocrate 5 siècles après celui-ci, Claude Galien écrivit une très vaste synthèse des connaissances médicales de son temps (mais surtout des siennes…) : plus de 250 ouvrages médicaux sont attribués à Galien, dont certains de plusieurs livres ! La plupart furent traduits en Syriaque, puis en Arabe, puis  en Latin au Moyen Age et à la Renaissance !

 

Son influence fut infiniment plus grande que celle d'Hippocrate dont il développa pourtant les idées. Mais contrairement à son Maître, il demeure presque oublié de nos jours, et ses œuvres sont quasiment sans traduction en langues modernes  et même très difficiles à trouver en Grec.

 

Il est par exemple peu connu que Galien a donné une description du diagnostic des maladies par la prise du pouls, comparable à celle utilisée depuis toujours par les Chinois. Galien n'a pas consacré moins de quatre traités de quatre volumes chacun à ce sujet, plus trois autres 'petits' livres les résumant ! 

 

Les rares traités de Galien traduits montrent pourtant paradoxalement une grande ignorance en matière de physiologie, d'anatomie et d'étiologie, et surtout (et probablement à cause de cela) d'importantes erreurs au niveau fondamental du raisonnement analogique. En effet les Grecs (pas plus que les Arabes plus tard) ne pratiquaient pas la dissection : leurs connaissances en anatomie et en physiologie étaient donc très pauvres, ce qui ne permettait ni une bonne observation, ni un bon raisonnement analogique.

 

Il est donc curieux de noter l'incroyable influence qu'eut pourtant la médecine de Galien pendant plus d'un millénaire : malgré ces nombreuses erreurs sa médecine analogique était encore ce qu'il y avait de plus efficace… Qu’en aurait-il été sans ces erreurs !

 

 

2. La Tradition interrompue

 

 Lors des Grandes Invasions de l’Empire Romain d’Occident on assiste à un effondrement complet des connaissances médicales, que ce soit sous forme écrite ou orale, qu'il s'agisse de connaissances officielles ou non.

 

 Les traditions ne se perpétuèrent que très partiellement et surtout sous forme de recettes purement  symptomatiques dans certaines familles et dans les monastères, ces derniers transmettant quelques rares textes de l'Antiquité et faisant pousser des 'simples' dans leurs jardins. Pourtant des plantes orientales, notamment les épices qui entraient dans la composition de la plupart des remèdes, continuèrent d'être importées sans discontinuité.

 

 Et pendant ce temps en Europe Orientale les empereurs byzantins chrétiens faisaient fermer les écoles qui transmettaient l’ancienne culture grecque, jugée païenne.

 

 Il faudra attendre près de dix siècles (!) pour voir un peu de renouveau dans les connaissances médicales en Europe, avec Hildegarde de Bingen : ses traités 'Physica' et 'Causae et curae' écrits au 12e siècle apportent entre autres des connaissances sur des plantes aux effets apparemment inconnus dans l'Antiquité, comme l'Arnica. Mais bien que basées sur les 4 Humeurs des Grecs, les bases théoriques et pratiques de la médecine d'Hildegarde sont extrêmement faibles.

 

  

3. L'époque Arabe : le sauvetage

 
Pendant l’époque obscure de la culture européenne persistait un important centre de culture médicale gréco-romaine à Jundî-Sâbûr (ou Gundê-Shâpur - de nos jours Shahabad en Iran).
Les Nestoriens, chrétiens d'Asie mineure chassés de leur région d'origine pour hérésie, y étaient les seuls gardiens de l'héritage transmis par Constantinople et surtout par Alexandrie.  La réputation médicale des Nestoriens était telle que leur culture fut respectée après la conquête de la Perse par les Arabes, et c'est chez eux que les Califes demandaient des médecins pour les soigner.
Les textes d'Hippocrate et de Galien ainsi que ceux d'autres auteurs mineurs avaient déjà été traduits du Grec en Syriaque, langue dominante du Proche-Orient. Après la prise du pouvoir de l'Empire Arabe par les Abbassides au milieu du 8e siècle, les textes médicaux grecs furent traduits du Syriaque en Arabe (ceux d'Hippocrate et de Galien surtout par le nestorien Hunayn ibn Ishâq dès le 9e siècle) et cette médecine fut soutenue par l'état. Au cours de cet âge d’or de la culture arabe hôpitaux et bibliothèques furent construits. C'est ainsi que certains textes de l'antiquité grecque ne nous sont plus connus que par leur traduction arabe, les originaux ayant été perdus.

 

Des médecins musulmans, surtout des Persans au début, prirent la relève des médecins chrétiens nestoriens en s'inspirant surtout de Galien, d'Hippocrate et d'Aristote mais aussi de connaissances Indiennes, auxquelles ils ajoutaient leurs propres découvertes.

 

Cette époque, qui comprend des noms connus (et latinisés) comme Rhazes (Ibn Zakariyya Al Razi) et Avicenne (Abu Ali Ibn Sina) et tant d'autres médecins de grande valeur, se termine vers le début du 13e siècle, époque à laquelle Ebn Albe'thar (Ibnu 'l Baytâr), grand voyageur, écrivit encore la Matière Médicale la plus complète de la littérature médicale Arabe médiévale avec 1.400 remèdes, dont 300 jamais décrits.

 

 

4. La Reconquête espagnole : les Traducteurs

 

Toutes ces connaissances traditionnelles conservées et perfectionnées par le monde Arabe (parfois déformées aussi) passèrent en Europe Occidentale dès les 11e et 12e siècles. Les textes arabes furent traduits en latin, d'abord par Constantin l'Africain à Monte Casino et à l'Ecole de Salerne, puis par de véritables centres de traduction sous la direction de traducteurs célèbres comme Gérard de Crémone, à Tolède ou en Sicile.

 

Seulement ces traducteurs, n’étant pas médecins, ne savaient pas toujours traduire les termes médicaux arabes, qu’ils se contentèrent souvent de latiniser, rendant beaucoup de textes incompréhensibles et inutilisables.

 

Ces versions latines d'Hippocrate, de Galien ou des auteurs Arabes furent ainsi enseignées dans les universités européennes jusqu'au 16e siècle au moins, et influencèrent grandement la pensée médicale européenne, jusque là il est vrai quasiment inexistante.

 A la suite de l'École de Salerne, "mère des Universités", célèbre en son temps avec l'ouvrage 'Regimen Sanitatis', des universités furent créées à Bologne et Padoue, qui reprirent l'ancienne Tradition de Médecine Analogique. Ceci poussa ensuite à rechercher à Constantinople ceux des textes originaux grecs qui avaient été conservés.

  C'est aussi la grande période de la Faculté de Médecine de Montpellier, héritière des connaissances arabes, où enseignent les plus grands médecins et botanistes.

 

Ainsi, dix siècles après Galien, une partie de la Tradition Médicale Grecque qui s'était perdue lors des grandes invasions était donc revenue en Italie (et en Europe), revue et corrigée par les Arabes (eux-mêmes parfois influencés par les Indiens), plus ou moins bien traduite en Latin, et ce après avoir fait le tour de la Méditerranée et envoyé une expansion jusqu'en Inde (la médecine Unani déjà citée).

 

 

5. Scolastique : tradition figée & déclin

 

C'est ainsi que la médecine prit un nouveau départ en Europe à la Renaissance. Mais celui-ci se fit sur des bases plutôt incomplètes et donc peu solides, car si les textes persistaient, leurs multiples traductions les avaient dénaturés, et la Tradition orale à laquelle ils auraient dû servir de support manquait. Et l'on se souvient que même les auteurs anciens maîtrisaient mal le raisonnement analogique faute de notions exactes d'anatomie et de physiologie… Il s'ensuivit une inefficacité croissante par manque de compréhension des bases fondamentales.

A cela s'ajoutait le conservatisme de l'Église qui empêchait tout progrès. Ce qui restait de la médecine ancienne fut répété comme un dogme par les Scolastiques, toute contestation ou innovation étant interdite.

Paracelse essaya à un moment de proposer un nouveau raisonnement analogique basé sur trois et non plus sur quatre, peut-être plus adapté à la thérapeutique minérale, mais qui resta sans suite.

Totalement incomprise, donc appliquée de façon souvent absurde, moquée à juste titre par Molière, la Médecine Traditionnelle Européenne sombra dans le ridicule avant de disparaître. (Ce que l'incompréhension complète des bases de cette médecine avait engendré de pire persista cependant jusqu'au début du 19e siècle, où les homéopathes étaient durement critiqués pour leur refus de… faire des saignées !

C'est ainsi que la médecine contemporaine a pu progressivement s'imposer: non parce qu'elle était meilleure, mais tout simplement parce que la place était vide.

 

6. Naissance d’une nouvelle approche

 

C'est Léonard de Vinci au 15e siècle en Italie qui écrivit le premier traité moderne d'anatomie, repris peu de temps après par le Belge Andreas Vesalius dans 'De Humani Corporis Fabrica'.

L'anglais William Harvey explique au début du 17e siècle la circulation du sang, tout en voulant rester dans le cadre de la Médecine Traditionnelle, dont il sonnait pourtant le glas en en montrant les incohérences.

 

La phytothérapie se réduisait à des recettes, ayant perdu toutes ses bases théoriques permettant un raisonnement diagnostique et thérapeutique.

A partir de là et devant l'effondrement de la médecine officielle, les théories médicales nouvelles se multiplient, souvent justes mais incomplètes, superficielles ou fragmentées, car se séparant de la vision holistique ancienne.

 

Au début ces progrès théoriques apparents ne furent pas accompagnés de progrès thérapeutiques, domaine dans lequel l'ignorance de la médecine restait grande (et dangereuse) jusqu'à l'arrivée de Hahnemann et de l'homéopathie au début du 19e siècle.

Peu après et parallèlement, l'impulsion rationaliste de Magendie permit de reconstruire un système médical en apparence complet et cohérent, basé sur les raisonnements de la physique et de la chimie. C'est ce système qui domine aujourd'hui, avec ses avantages de rigueur scientifique mais aussi avec ses limites thérapeutiques.

Aux Etats-Unis, à la fin de ce 19e siècle fécond en nouveautés médicales, Still commença à codifier l'ostéopathie, et la médecine manuelle fit de rapides progrès, basés notamment sur les bonnes connaissances en anatomie enfin disponibles, progrès freinés cependant par un raisonnement ne prenant pas en compte le Terrain.

 

Suivirent donc les découvertes bien connues de la médecine officielle jusqu'au milieu du 20e siècle.  Mais malgré les progrès certains qu'elles ont apportés dans la compréhension de certaines maladies, et malgré l'invention de la Pénicilline par Fleming en 1928 (à partir de champignons…) qui permit de traiter certaines maladies infectieuses graves, toutes ces découvertes ont tendance à délaisser l'essentiel, le Terrain, pour les apparences plus spectaculaires que sont les seuls symptômes, confondant la cause et les conséquences, la maladie et la réaction du corps à celle-ci, d'où rechutes et/ou effets secondaires.

 Pourtant le grand physiologiste français Claude Bernard, disciple de Magendie, disait encore en 1865: "le microbe n'est rien, c’est le terrain qui est tout".

 

 

 

Le temps semble venu d'intégrer aux connaissances modernes, détaillées mais fragmentées, la vision d'ensemble de la Médecine Analogique des anciens. Avec la rigueur de l'analyse scientifique.